Au début des années 2000, Andrew Lloyd Webber et Joel Schumacher ont repris une idée ancienne, selon laquelle le compositeur voulait collaborer avec le réalisateur sur une version cinématographique de son spectacle. L’idée avait été mise sous le coude en raison de son divorce d’avec Sarah Brightman.
Affirmons d’entrée la chose suivante: le film est terriblement critiqué de toutes parts. Mais il a de nombreuses qualités. Il a surtout un but tout à fait honorable -en plus de rapporter des dollars…- qui est de rendre accessible le spectacle à tous les gens qui ne peuvent se rendre ni à Broadway, ni à Sydney, ni à Londres, et tutti quanti. Ou qui n’en ont pas les moyens.
Affirmons une seconde chose: j’adore ce film, et ça ne m’empêche pas d’apprécier le reste puisque je ne fais pas ici un blog à la gloire de Gerry. Donc, pas d’engueulade!
Commençons par ce qui a été reproché: Gerry Butler ne sait pas chanter, et Emmy Rossum est un sac d’os, trop jeune de surcroît. Et rien n’égale la performance originale -originelle?- de Michael Crawford et Sarah Brightman.
Sarah Brightman fait davantage du lyrique dans sa prestation; avec elle, on entend une cantatrice d’opéra. C’est tout à fait merveilleux mais le Fantôme n’est-il pas un opéra rock? Est-il nécessaire de le chanter ainsi? Non, car à mon avis, ça ne convient pas au genre, lui enlève une proximité avec le public, rend les personnages trop différents de nous qui ne savons pas chanter. Plus possible de s’identifier à une Christine aussi parfaite, alors qu’Emmy, qui à mon avis, ne fait aucune erreur du point de vue du chant, est l’interprète idéale d’une jeune fille pure et naïve, encore très attachée à son père défunt, amoureuse trop vite, hésitant entre la vie et l’art, entre la sexualité et un mariage qui, s’il se situe chez les aristocrates, n’en sera pas moins bourgeois. Avec elle, on y croit, c’est une innocente, elle imagine encore des anges et elle n’a pas vécu.
Quant à Crawford qu’on encense: lui aussi avait surpris, on ne le croyait pas chanteur. Je trouve la voix de Butler très douce lorsqu’il le faut, et très effrayante par moments (réécoutez Secretly, secretly). Il est dans la bonne tonalité en tous cas et à ce côté séduisant dans la VOIX dis-je! qu’on ne trouve pas toujours sur scène où le grandguignol l’emporte un peu.
Et l’acteur qui n’est pas charismatique? Il faut qu’il soit assez romantique pour qu’on excuse ses crimes, chez Webber, alors le charisme va servir à quoi? C’est Lamartine qu’il nous faut et non Dickens.
Le vrai problème, c’est l’enregistrement préalable qui se voit à l’écran, notamment la position permanente, lèvres entrouvertes de Rossum. Et pour ceux qui persistent à écouter le DVD en français alors que c’est du saccage de juxtaposer cette partition avec les sons de notre langue, qui ne lui conviennent pas -c’est la prof d’anglais qui parle- d’autant que les lèvres ne sont jamais synchro! Je vais me faire tancer vertement, mais comparez pour le son le rythme trop abrupt des consonnes d’un “Le fantôme de l’opéra est là dans mon esprit” avec la fluidité des voyelles de “The phantom of the opera is there-inside my mind”.
Enfin, les trente secondes de chambre des miroirs, l’épée à la main, sont ridicules, notamment si on relit le roman. Mieux vaut zapper “l’amateur de trappes” qu’y faire une allusion sybilline et bâclée.
Pour finir, le flash-back de Madame Giry au cirque m’a paru inutile, coupant l’action, et surtout, à nouveau, sans rapport avec le roman de Leroux.

Du noir au rouge
Maintenant pour les bons côtés:
Les costumes, somptueux, de même que les décors, à tomber. On ne peut que rêver de visiter l’Opéra Garnier. Avec une harmonie de couleurs, des effets spéciaux très réussis. J”en pleure quand le noir et blanc grainé du début se dépoussière et qu’on monte le lustre. Ces mouvements de caméra vertigineux au montage extrêmement serré pendant lesquels on perçoit les ouvriers, les repasseuses, les masques-tous les masques, partout, pas juste celui du fantôme, faites-y attention- les filles qui passent leur temps à se saoûler parce que ce sont des pauvres, cliché un peu facile sans doute, mais pendant la mascarade, on a bien les deux mondes, à l’étage et dans les cuisines, qui s’amusent de façon identique. Et ça c’est génial. L’Opéra comme monde souterrain où vivent au moins 800 personnes. Je tire aussi mon chapeau à Murray Melvin, le chef d’orchestre en qui je reconnais le Révérend Runt de Barry Lyndon, et à Simon Callow et Ciaran Hinds, fabuleux, surtout avec les cornes de bélier, et pendant l’épisode des “notes”. Je n’oublie pas Minnie Driver et Miranda Richardson, que j’adore. En revanche, on se serait bien passé d’une perruque aussi nunuche pour Raoul…
Voila pourquoi le film est une réussite à mon avis, en ce qu’il remplit son objectif en ne s’écartant pas trop du spectacle. Heureusement que ce n’était pas du théâtre filmé, n’en déplaise à certains. Il fallait que ce film là soit “plus vrai que nature”.